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Mourir avant de naître
(Jocelyn Métrailler Al-Sayegh)

http://www.agapa-suisseromande.ch/00_donnees_utilisees/02_contenu/S54_56.pdf

 

La cérémonie des Anges
(Marie Labèrge)

Les premiers paragraphes du roman

Laurent

C’est le silence qui m’a réveillé. L’angoisse du silence soudain. Depuis, je n’ai plus entendu aucun bruit. Ce silence-là a dévasté ma vie.

C’était avant l’aube. Il faisait noir. C’est mon oreille qui a capté le drame, mais sitôt établi que ce silence n’était pas normal, mon cœur s’est affolé. Je me suis levé très doucement pour ne pas alerter Nathalie. J’ai l’impression d’avoir couru, sur le bout des pieds, dans la chambre contiguë à la nôtre. Érica était couchée sur le ventre et ne bougeait pas. J’ai posé ma main sur son dos, rien- elle ne bougeait pas, ne respirait pas. Elle n’était pas froide. Je l’ai retournée brutalement comme une poupée. Comme une poupée, elle était sans tonus, yeux ouverts, sa main a mollement heurté les barreaux du lit. Ça a fait un bruit sourd. Un petit bruit en l’extirpant de sa couchette. Mais je sais que pas un son n’est sorti de moi. Je l’ai hissé jusqu’à ma joue, je l’ai serrée trop fort en espérant qu’elle proteste puis je l’ai posée par terre sur le tapis, je me suis agenouillé et j’ai essayé de souffler dans sa bouche, de faire soulever sa petite cage thoracique.

Nathalie

Je n’ai rien à écrire ou à dire. Je ne vois pas ce que cette femme aux yeux de cocker triste veut de moi. Elle a l’air dans un continuel état d’anxiété. Elle me regarde comme si j’y pouvais quelque chose . J’écris parce que j’ai promis et que je suis femme de parole. Ne pas oublier d’aller chercher le linge chez le nettoyeur. C’est fermé le samedi et à chaque fois, on attend le samedi pour y aller. Immanquable. Avec Laurent qui a l’air d’avoir perdu ses clés chaque fois qu’il sort, on dirait bien que je suis la seule à me souvenir des détails. Laurent ne va pas bien, ça le cocker l’a bien vu. L’ennui, c’est que je ne suis pas patiente. Il n’a pas l’air de vouloir s’en sortir. Il a même l’air plutôt confortable dans sa déprime. Se rase plus. Se couche en arrivant. Ne mange rien.
Hier, j’ai attendu qu’il s’endorme sur le divan et je suis allée au restaurant. Rencontré la gang du Shakespeare qui venait de finir la répétition générale. On a ri comme des débiles. Longtemps que j’avais pas ri de même. Jean-Claude me couvait des yeux. S’il pense…

 

La bascule

Je m’étais souvent demandé comment ce serait, le jour où on m’annoncerait une terrible nouvelle. Comment je vivrais ces quelques secondes qui font basculer une vie, ces secondes que nous vivons tous un jour. Je m’étais demandé si, comme dans les films, tout ce qui m’entourait se mettrait à fonctionner au ralenti, si les bruits me parviendraient étouffés, si je me sentirais loin de tout, si je crierais.

Je ne crie pas. Si je le fais, la possibilité que ce ne soit qu’un mauvais rêve disparaîtra. Doucement, pour ne pas me réveiller, j’implore l’homme en blouse blanche de me dire que ce n’est pas vrai.
Je vous en supplie, retirez ce que vous venez de dire, on fera comme si ce n’était pas arrivé. Je ne veux pas savoir. J’ai mal compris. Vous avez mal prononcé. Ce n’est pas en train d’arriver. Dites-moi que vous retirez, rembobinez. On était bien il y a quelques secondes à peine, pourquoi tout gâcher ?
On riait tous ensemble de mon gros ventre qui m’empêchait de voir mon poids sur la balance. J’avais peur, comme toutes les femmes qui vont accoucher, mais j’étais heureuse. On peut retourner en arrière, s’il vous plaît, Docteur? On peut oublier ?

La sage-femme me tient la main.
Mon mari pleure.
Le médecin range son matériel en évitant soigneusement mon regard.
Il ne rembobine pas.
Ce n’est pas un rêve, ce n’est pas une blague. Mais c’est peut-être une erreur médicale, ça arrive souvent les erreurs médicales. D’ailleurs, ce médecin m’a l’air bien jeune pour asséner un verdict aussi définitif, si ça se trouve c’est la première fois qu’il fait une échographie et il ne regarde pas au bon endroit. Oui, voilà, ça doit être ça.
Cherchez encore un peu, Docteur, non, ne rangez pas votre foutue machine. Elle ment, vous mentez, le cœur d’un bébé n’arrête pas de battre comme ça, sans raison. Ce matin encore il dansait en moi, je sentais bien que c’était pour aujourd’hui. C’est un petit farceur, vous savez, il nous fait souvent rire. Tiens, à chaque fois qu’il bouge, j’essaie de le filmer et il s’immobilise dès qu’il entend l’appareil s’allumer. Il nous fait une blague, j’en suis sûre. Je dois lui donner la vie, Docteur, je ne veux pas lui donner la mort. Tout ça n’a pas de sens.

La sage-femme me caresse la tête et m’explique ce qu’il va se passer maintenant. Je ne l’entends pas. Je ne veux pas l’entendre. Ce n’est pas en train d’arriver.
Je veux devenir sourde, je veux que tout soit au ralenti, je ne veux plus rien sentir, je veux être ailleurs. Vous pourriez m’endormir quelque temps s’il vous plaît ? Vous me réveillerez quand tout sera terminé, je ne veux pas être là, je ne peux pas affronter. Je ne suis pas forte, vous savez, j’ai la dépression facile et l’angoisse vissée au corps. Je ne suis pas de taille à surmonter ça, il ne faut pas se fier aux apparences. Je me prépare tant bien que mal à la perte de mes parents, parce qu’il paraît que c’est la vie. Je m’y prépare parce que je sais que si on me prend de court je ne pourrai pas me relever. Mais là, mon fils, je ne peux pas l’encaisser, je vais crever, je vous le jure. Et comment je vais dire ça aux autres ? Qu’est-ce qu’on va faire de son doudou, des pirates sur les murs de sa chambre, de tous ses pyjamas, du petit lit blanc ? Qu’est-ce qu’on va faire des étoiles dans nos yeux, du soleil dans nos projets ?
Qu’est-ce qu’on va faire de nous ?

Alors c’est comme ça.
C’est comme ça quand tout s’écroule.
Brutal, irrémédiable, dévastateur. Ca ne fait pas de bruit, ça n’a pas d’odeur, ça ne se voit même pas. Si quelqu’un entre dans la petite pièce sombre, il pourra croire que nous pleurons de joie. De quoi pourrait-on bien souffrir lorsqu’on a le ventre tendu d’amour ?
Il y aura un avant et un après et pourtant, rien n’a changé.
Le ventilateur brasse l’air climatisé au même rythme qu’avant.
Le néon au-dessus de ma tête grésille toujours.
Le médecin va continuer sa journée de travail. Il va sortir de la pièce, sans doute aller glisser une pièce dans une fente en échange d’un café trop chaud mais réconfortant et ce soir il aura une triste histoire à raconter à sa femme.
La sage-femme appellera peut-être une copine, pleurera sûrement un peu. Elle a choisi ce métier pour aider des parents à accueillir leurs enfants. Pas pour qu’ils leur disent adieu.
A travers la vitre teintée, je vois les voitures ralentir pour laisser passer les piétons qui sortent du cinéma. Les couples trainent, pour prolonger ce bon moment et partager leur sentiment sur le film qu’ils viennent de voir. Les familles pressent le pas pour rentrer plus vite à la maison, il faut encore manger, prendre le bain, finir les devoirs que les enfants avaient remis à plus tard. Aucun ne se doute de ce qui se joue à quelques mètres d’eux, de l’autre côté du mur.
Dans le ciel, un avion vient de décoller de l’aéroport tout proche.
La sage-femme met son masque et me dit que ça va être le moment.
J’imagine qu’il est chargé de passagers en partance pour des vacances, vêtus de chemisettes et bermudas colorés.
Elle met en place la perfusion. Je donnerais tout pour être à bord de cet avion.
Je porterais ma robe longue à fleurs, celle dans laquelle je voyais si bien mon ventre bouger.
Elle me dit qu’il va falloir être forte.
Dès qu’on atterrira, on ira à la plage. Je ferai la planche sous le soleil et on oubliera tout. Tous les trois.
18h10
C’est maintenant que tout s’arrête. C’est maintenant que tout commence.

tiré d’aufeminin.com

Mémoires Vives
portraits du deuil  périnatal

 

extrait de youtube   www.youtube.com/watch?v=-NKbrNK5TBw
photo et texte mémoires vives portraits du deuil périnatal, c’était une exposition.
http://www.images-de-soi.fr/index.php/reportages/deuil-perinatal/12-memoires-vives/7-les-portraits

 

Lorsque la grossesse tourne mal
Deuil de l’abstrait

tiré de « la Presse » écrit par Sophie Allard
http://plus.lapresse.ca/screens/43c8-b030-523caa6b-a24b-624eac1c6068%7CWB7VAjh2GlVQ